Décarbonation efficace des entreprises : faut-il investir dans l’innovation ?
Pour la 4ème édition des Rencontres du Climat, Getlink a réuni autour de Yann Leriche, dans les locaux de Bpifrance, Magali Joëssel, directrice du Fonds SPI (Sociétés de Projets Industriels) de la banque publique d’investissement, Philippe Aghion, économiste et Professeur au Collège de France et Ulrich Hege Professeur à la Toulouse School of Economics, pour une discussion sur la place de l’innovation dans le financement de la transition climatique.
Dans son introduction au débat, Yann Leriche a resitué deux leviers phare de la décarbonation des entreprises :
- Le levier des volumes : Les quotas régulés par la puissance publique pour limiter les émissions des entreprises.
- Le levier du prix : La taxe carbone qui repose sur le principe du pollueur/payeur en s’appuyant sur un prix du carbone.
A ces deux leviers, s’ajoute une théorie, portée par Philippe Aghion, qui indique qu’ils ne sont pas suffisants pour réussir la transition climatique : nous avons besoin de l’innovation comme facteur d’accélération de la transition.
Ce levier de l’innovation, contrairement aux deux autres, est à la main des entreprises et n’est pas imposé par les pouvoirs publics.
La nécessaire orientation des actions des entreprises vers l’innovation pour contrer la dépendance au sentier dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Philippe Aghion l’a rappelé lors des échanges : l’orientation des entreprises vers l’innovation verte est primordiale pour réussir la transition climatique. L’économiste a en effet mené des travaux de recherche et a pu établir que « les acteurs qui ont massivement investi dans les moteurs à combustion dans le passé tendent à poursuivre l’innovation sur ce type de technologie polluante ». C’est ce qu’il nomme la dépendance au sentier qui revient à dire qu’un acteur économique tend spontanément à faire ce qu’il fait déjà. Aussi, il est essentiel pour l’Etat d’orienter les investissements vers une innovation verte de rupture car si rien n’est fait, les entreprises poursuivront spontanément leurs investissements dans des technologies historiquement polluantes. L’écart entre ces technologies et les technologies vertes continuera de s’accentuer et la transition climatique coutera in fine plus cher. Enfin l’économiste fait remarquer que « les entreprises récentes, qui ne sont pas dépendantes, dans le sens de la dépendance au sentier, portent la transition climatique. ».
Pour accélérer l’investissement dans l’innovation, Philippe Aghion a mentionné plusieurs leviers d’incitation à actionner en parallèle : la taxe carbone pour réduire les émissions et un soutien financier fort de la part de l’Etat à l’instar de l’IRA[1] lancé en 2022 aux US.
L’intérêt des investisseurs pour l’innovation climatique
Les investissements climatiques publics dans la transition climatique sont estimés à 30 milliards de dollars a souligné Ulrich Hege. L’investissement privé, que ce soit par le capital-risque ou des innovations propres est, lui, bien plus important mais reste dur à quantifier de façon certaine. Il est estimé qu’environ 10% des investissements mondiaux se portent sur la transition climatique soit 250 milliards de dollars.
Et l’intérêt des investisseurs est bien là ! Ulrich Hege note que les brevets d’innovation pour la transition climatique ont une rentabilité d’environ 2% et qu’il y a une reconnaissance du marché de la valeur stratégique qui sait distinguer la qualité des brevets. L’impact social est également important : Ulrich Hege a évoqué un retour social des innovations climatiques 5 fois plus important que le retour sur investissement privé alors qu’il est plutôt de 2 pour les autres innovations.
Un accompagnement au long court des entreprises et une nécessaire structuration des filières.
Magali Joëssel a rappelé la mission de Bpifrance qui apporte un soutien financier à deux types d’entreprises : les entreprises qui sont accompagnées dans la décarbonation de leurs activités et l’accompagnement des « offreurs de solutions » qui innovent. Depuis 10 ans est constaté un accroissement des investissements en matière de transition verte, passant de 700 millions d’euros en 2013 à 9 milliards d’euros aujourd’hui.
La typologie d’investissements a également évolué, désormais l’Etat fixe des priorités pour certains secteurs ou technologies comme l’hydrogène en subventionnant massivement la recherche technologique dans ce secteur. Les politiques publiques sont fondamentales pour structurer des filières mais cela ne peut se faire sans les acteurs économiques. Il est nécessaire que tous les acteurs d’une même filière coopèrent entre eux et ne soit pas dans une logique de simple concurrence. Plusieurs modes de coopération ont été évoqués : comme la coopération sur la R&D ou encore sur l’achat innovant qu’il soit public ou privé.
Chez Getlink, des premières mondiales pour être toujours plus bas-carbone !
Yann Leriche a présenté les sujets bas-carbone innovants lancés par le Groupe, tel que le projet en cours d’installation de panneaux solaires sur le terminal d’Eurotunnel pour développer une première mondiale : le power to traction c’est-à-dire le fait d’utiliser l’énergie solaire produite sur les terminaux pour alimenter les trains en exploitation.
D’autres innovations « vertes » ont également été finalisées par le Groupe comme le câble ElecLink à haute tension dans le Tunnel ou encore Track Value, solution pour digitaliser le suivi du fret ferroviaire.
La marge décarbonée créée par Getlink en 2023 est également un accélérateur de transparence sur la réalité des actions climatiques efficaces des entreprises. A ce titre elle crée le lien entre performance climatique et financière.
Yann Leriche est revenu sur la dépendance au sentier. Getlink innove pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et investit naturellement dans ses activités cœur de métier. Cependant, pour atteindre la neutralité carbone, le Groupe se retrouve dépendant d’autres acteurs pour le développement des innovations qui lui permettront d’éliminer durablement du carbone par exemple. Aujourd’hui, il y a un accompagnement insuffisant pour booster l’innovation en la matière.
Yann Leriche abonde également dans le constat dressé par Magali Joëssel sur le fait que les filières sont insuffisamment développées en France et qu’il manque de vraies structures collectives pour l’innovation climatique par exemple sur le sujet de la capture du carbone.
Aussi, en conclusion de cette Rencontre du Climat, Yann Leriche a appelé à une mise en commun, à la naissance d’un collectif pour travailler ensemble avec des partenaires externes, pour le développement d’innovations en faveur de la transition climatique.
[1] Inflation Reduction Act : 369 milliards de $ de subvention sur 10 ans pour soutenir l’industrie verte.